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Nouveaux modes d’administration des medicaments

Une fois qu’il a été avalé, un médicament parcourt un labyrinthe : il doit résister à la traversée de l’estomac, atteindre, intact, les intestins, franchir la paroi intestinale et pénétrer dans le sang ; il est filtré dans le foie et, alors seulement, a accès à tout l’organisme. À chaque étape, il doit résister aux acides des sucs digestifs, franchir des barrières membranaires ou se défendre contre l’action d’enzymes susceptibles de le découper en morceaux, ce qui l’inactiverait.

Les fabricants de produits pharmaceutiques ont proposé diverses solutions pour que certains médicaments, aujourd’hui disponibles, surmontent ces obstacles. Toutefois, aucune de ces solutions n’est efficace pour l’ensemble des médicaments. L’une des solutions consiste à enrober les comprimés d’un revêtement insoluble dans les sucs gastriques, mais qui se dissout facilement dès qu’il atteint le milieu moins acide de l’intestin grêle. Toutefois, un médicament constitué de protéines - comme la plupart des produits issus des biotechnologies - doit aussi échapper à l’action des protéases, les enzymes qui détruisent les protéines. Or, si l’on protégeait des protéines en les entourant de gardes du corps efficaces (ici des inhibiteurs de protéases), on les empêcherait de traverser la paroi intestinale : les protéines entourées de ces inhibiteurs seraient trop volumineuses pour se faufiler jusqu’au sang.

Au contraire, les médicaments classiques, souvent constitués de petites molécules, traversent facilement la barrière intestinale. De surcroît, les revêtements empêchent un contrôle précis de la pharmacocinétique d’un médicament, c’est-à-dire de sa vitesse d’entrée dans le sang et de sa durée de vie dans l’organisme. Or, un médicament peut devenir toxique s’il passe trop rapidement dans le sang et s’il atteint des concentrations trop élevées, ou s’il y stagne trop longtemps. Inversement, il peut être inefficace si le passage dans le sang est différé.

L’injection des médicaments évite les obstacles représentés par l’estomac et par la barrière intestinale, mais de nombreux malades ne désirent pas recevoir une injection quotidienne. Au cours des 20 dernières années, d’autres systèmes d’administration des médicaments ont été mis au point : patchs, implants, injections à effet retard, gels ou aérosols par voie nasale ou respiratoire. En fait, plusieurs régions du corps - la peau, le nez, les poumons et les intestins - sont des voies d’accès possibles. Plusieurs méthodes non invasives d’administration de molécules complexes ont été mises au point ; on utilise, par exemple, des ultrasons pour faire passer des médicaments à travers la peau de façon parfaitement indolore. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine des nanotechnologies, on a réalisé des micropuces implantables, qui libèrent des doses précises de médicaments à heures fixes. Divers groupes de recherche ont mis à profit les nouvelles techniques pour faciliter le franchissement de la paroi intestinale. Edith Mathiowitz et ses collègues, de l’Université Brown, ont, par exemple, conçu une méthode où des protéines sont piégées dans de minuscules gouttes d’une substance gluante, dite bioadhésive, qui peut pénétrer dans les cellules intestinales ou se faufiler entre elles. La bioadhésion, d’abord utilisée pour que des médicaments administrés par voie orale se fixent sur des muqueuses, a été étudiée, dans les années 1970 et 1980, par l’équipe de Tsuneji Nagai, à l’Université de Hoshi, et par celle de Joseph Robinson, à l’Université du Wisconsin-Madison. Jusqu’au début des années1990, les polymères bioadhésifs les plus prometteurs semblaient être des polymères hydrophiles et des hydrogels, qui présentent une affinité marquée pour l’eau. De ces premières études, les biologistes avaient conclu que les polymères les plus « mouillables », ceux dont la concentration en groupes carboxyle est la plus élevée, étaient des matériaux bioadhésifs de choix. Malheureusement, s’ils adhèrent bien à la muqueuse intestinale, ils la traversent difficilement et libèrent trop vite les protéines qu’ils véhiculent. L’équipe de Patrick Couvreur, dans l’unité UMR-CNRS 8612, à ChâtenayMalabry, a conçu des nanocapsules biodégradables de poly(alkylcyanoacrylate) contenant de l’insuline qui, vraisemblablement par le même mécanisme, réduisent, après administration orale, la glycémie de rats diabétiques et ce, pendant plusieurs jours.

En 1997, E. Mathiowitz découvrit que des polymères bioadhésifs hydrophobes, nommés polyanhydrides, dont les groupes carboxyle sont exposés en surface à mesure que la particule est érodée, se lient à la paroi intestinale, la traversent et pénètrent dans le sang. Un polyanhydride particulier, l’anhydride poly(fumarique-co-sebacique), adhère mieux que tous les autres matériaux testés. Aujourd’hui, on essaie de l’utiliser pour fabriquer une forme d’insuline qui serait administrée par voie orale (dans le domaine des nouveaux modes d’administration, on étudie beaucoup l’insuline, que les diabétiques insulino-dépendants doivent s’injecter régulièrement). Les tests pratiqués sur les animaux ont donné des résultats encourageants tant en ce qui concerne les bioadhésifs hydrophiles que les bioadhésifs hydrophobes.

Certains polymères ne sont pas seulement bioadhésifs, mais ils présentent aussi la propriété de changer de taille en fonction de l’acidité du milieu. Ils peuvent, par exemple, gonfler en milieu acide, protégeant les protéines du milieu acide de l’estomac et dégonfler en milieu basique, libérant les protéines dans l’intestin. Ces polymères peuvent protéger les protéines des protéases, dans l’intestin grêle supérieur, et favoriser leur passage dans la paroi intestinale. Une autre stratégie consiste à enrober les protéines dans des molécules « porteuses », qui assurent le passage de la barrière intestinale. De tels porteurs moléculaires semblent capables de comprimer les protéines pour leur faire traverser les membranes cellulaires. Une fois que la molécule porteuse a rempli son rôle, elle se désagrège, libérant les protéines qui retrouvent leur conformation biologiquement active. On teste actuellement de tels porteurs pour l’administration d’insuline à des diabétiques et d’héparine (un anticoagulant) à des personnes à qui l’on implante une prothèse de hanche et qui présentent des risques de formation de caillots sanguins.

On essaie aussi de coupler des médicaments à base de protéines et des molécules qui se fixent sur des récepteurs spécifiques dans le tube digestif. Ainsi, certaines cellules de l’intestin portent des récepteurs qui fixent la vitamine B12 et lui font traverser la paroi intestinale. En associant une protéine à la vitamine B12, on peut duper les récepteurs de la vitamine et leur faire transporter la protéine en même temps que la vitamine. Cependant, ces récepteurs ne sont pas assez nombreux pour que l’on obtienne un effet thérapeutique. D’autres équipes s’intéressent aux lectines, des molécules adhésives abondantes dans le tissu conjonctif qui sépare les cellules intestinales, et qui pourraient assurer ce transport.

Les patchs

Comme l’intestin, la peau est une voie d’accès vers le sang, mais elle est beaucoup plus facilement accessible. Bien que la peau représente une barrière assez imperméable, quelques médicaments, ayant des caractéristiques physiques et chimiques adaptées, peuvent la traverser suffisamment vite. Des patchs transdermiques, dont l’action peut durer plusieurs jours, sont aujourd’hui disponibles : ils libèrent, par exemple, de la nicotine pour aider les personnes qui veulent arrêter de fumer, ou de l’estradiol (une hormone), pour lutter contre les effets désagréables de la ménopause ou pour jouer un rôle de contraceptif.

En faisant passer un courant électrique continu de faible intensité à travers la peau, on rend l’épiderme perméable à de nombreux médicaments, notamment aux protéines. On peut utiliser deux patchs - l’un chargé positivement et l’autre négativement - reliés à un petit réservoir de médicament. Une impulsion électrique indolore autorise le passage des protéines, généralement chargées, à travers la couche externe et imperméable de l’épiderme, jusqu’aux vaisseaux sanguins du derme. Un dispositif de ce type visant à administrer un antalgique est à l’étude. La pile du dispositif est suffisamment petite pour être dissimulée par les vêtements. On prévoit des essais cliniques de ce dispositif, pour tester l’administration de doses quotidiennes d’hormone parathyroïdienne à des personnes atteintes d’ostéoporose, ou de doses, libérées toutes les 90 minutes, d’une hormone libérant la gonadotrophine chez des femmes que l’on prépare pour une fécondation in vitro.

On cherche également à utiliser les ultrasons pour augmenter la perméabilité de la peau. Les ultrasons désorganisent temporairement la couche la plus externe de la peau, le stratum corneum, qui est le principal obstacle au passage des médicaments. Dans notre laboratoire, nous avons utilisé des ultrasons et multiplié par 5 000 la diffusion à travers la peau de protéines de la taille de l’insuline. Actuellement, nous testons un dispositif destiné à administrer de l’insuline et des médicaments contre la douleur et qui émet des bouffées d’ultrasons. Leur énergie est notablement inférieure à celle des ultrasons utilisés en imagerie médicale. La peau devient localement plus perméable, pendant une durée pouvant atteindre 24 heures. L’émetteur d’ultrasons de ce dispositif portatif vibre à une fréquence de 55 000 cycles par seconde (55 kilohertz) dans un milieu liquide où la peau est immergée. De minuscules bulles se créent, puis se dilatent et se contractent dans le liquide et dans les membranes cellulaires du stratum corneum ; des canaux miniatures, empruntés par les médicaments, apparaissent temporairement.

L’administration par voie pulmonaire est également envisagée pour traiter aussi bien des troubles respiratoires que des maladies siégeant n’importe où dans l’organisme, mais qui nécessitent une introduction rapide du médicament dans le sang. Les poumons sont constitués de cavités microscopiques, les alvéoles, directement en contact avec des vaisseaux sanguins. Pendant la respiration, le dioxygène pénètre dans le sang par les alvéoles, tandis que le dioxyde de carbone produit est rejeté. Des aérosols constitués de molécules plus grosses, tels des médicaments à base de protéines, pourraient pénétrer dans le sang de la même façon. La difficulté réside dans la conception de dispositifs d’inhalation capables de produire un nombre suffisant de particules d’aérosol, assez petites pour pénétrer profondément dans les lobules pulmonaires, sans endommager le médicament (avec la plupart des inhalateurs classiques, tels ceux utilisés contre l’asthme, dix pour cent seulement du contenu est administré). De surcroît, des cellules immunitaires des poumons (les macrophages) risquent de dégrader rapidement la plupart des médicaments.

Contre l’agglutination des aérosols

Diverses sociétés et équipes de recherche mettent au point des inhalateurs de nouvelle génération, qui produisent des brouillards extrêmement fins. Un des dispositifs utilisés pour les formulations liquides projette le médicament à travers de petites buses programmées pour délivrer des doses précises de produit. Un autre dispositif forme un nuage d’aérosol en comprimant de l’air dans une poudre sèche, ce qui la brise en minuscules particules qui atteignent les points les plus reculés des poumons. Ces deux dispositifs sont testés pour l’administration d’insuline à des diabétiques, ce qui éviterait les injections répétées.

Jusqu’au milieu des années 1990, les biologistes se sont peu intéressés aux particules d’aérosol elles-mêmes. En abaissant la densité des particules d’aérosol tout en augmentant leur taille et leur porosité, on devrait réduire leur propension à s’agglomérer et faciliter leur pénétration dans les poumons. Pour élaborer des aérosols plus efficaces, nous nous sommes demandé quelle est la différence entre des ballons de basket humides et des grains de sable humides.

Contrairement aux premiers, les seconds s’agglutinent facilement. De plus, des aérosols de plus grande taille devraient mieux résister aux macrophages pulmonaires, qui ont tendance à engloutir et à détruire les particules les plus petites. Nous avons alors préparé un aérosol formé de grosses particules, et montré qu’il reste jusqu’à quatre jours dans les poumons d’animaux. Des tests sont en cours sur l’homme.

Enfin, des systèmes « intelligents » de distribution de médicaments semblent particulièrement prometteurs. Ils détecteraient certains signaux chimiques dans l’organisme et y répondraient en libérant un médicament, dont ils maintiendraient la concentration constante. John Santini, à l’Institut de technologie du Massachusetts, a fabriqué des microcircuits intégrés en silicium dotés de réservoirs de médicaments scellés par une mince feuille d’or.

L’application d’un signal électrique (une différence de potentiel d’1 volt) à l’un des réservoirs (ou à plusieurs) dissout l’or et libère le médicament.

Ces microcircuits intégrés seraient implantés sous la peau, dans la moelle épinière ou dans le cerveau, et y délivreraient des médicaments contre la douleur ou contre les cancers. Des études sur l’animal ont montré que les matériaux des microcircuits sont biocompatibles et ne semblent pas avoir d’effets secondaires délétères. De telles puces, alimentées par une source d’énergie portative, enregistreraient les doses de médicament administrées au malade : les données stockées par ces dispositifs seraient alors transférées vers un ordinateur à domicile, au cabinet du médecin ou à l’hôpital, et autoriseraient ainsi une surveillance précise du traitement administré. Bientôt, les médicaments seront administrés à un instant précis, à la dose la plus appropriée, en tout point de l’organisme, et auront partout la même spécificité et la même efficacité.